re·wor·l·ding

Langage inclusif dans l'espace public, vieux stéréotypes, nouveaux imaginaires : une newsletter pour cultiver son esprit critique en décryptant les mots qui nous entourent.

image_author_Alicia_Birr
Par Alicia Birr
11 avr. · 5 mn à lire
Partager cet article :

"Personne handicapée" ou "en situation de handicap" : la question sans réponse.

Parler de handicap, c'est mettre concrètement en œuvre 3 grands principes du langage inclusif : employer un langage précis, interroger les personnes concernées, visibiliser les femmes.

Hier, je suis allée à Inclusiv’Day, le salon des entreprises engagées pour l’inclusion et les innovations sociales. J’y ai été invitée pour répondre à la question “Comment la communication peut-elle rendre la société plus inclusive ?”. Cela a été l’occasion de rappeler que ma définition du langage inclusif n’est pas centrée uniquement autour de la notion d’égalité de genre (rendre visibles les femmes dans la langue en la démasculinisant) mais qu’elle s’étend à l’attention qu’on porte à tous les mots qui désignent les personnes, a fortiori quand elles font partie de groupes discriminées. Trouver les bons mots pour parler de handicap, c’est aussi ça le langage inclusif.
En me baladant dans les allés du salon, en écoutant les conférences, en observant les stands des associations, entreprises et institutions qui œuvrent au quotidien pour l’inclusion des personnes handicapées, j’ai réalisé que le vocabulaire du handicap offrait une illustration parfaites des 3 principes critiques dans la pratique d’un langage inclusif.

La précision, meilleure alliée de l’inclusion

Dans le champ de la DEI (diversité, équité, inclusion), et surtout dans le monde anglo-saxon, on parle souvent de langage précis (precise language) en complément du langage inclusif. L’idée ici est que la première étape pour choisir des mots qui incluent les personnes discriminées est de choisir des mots qui reflètent précisément la réalité de leur discrimination.

Par exemple, alors que le terme de “minorité” est toujours utilisé aux Etats-Unis comme une manière de décrire une personne non blanche, beaucoup de personnes ne l’apprécient pas ; et dans certains cas, c’est factuellement faux. En remplaçant “minorité” par un terme plus précis comme “historiquement sous-représenté”, vos mots sont plus justes et empouvoirant (empowering) pour les personnes de votre entreprise qui s’identifient comme en faisant partie. (Striving for a more inclusive workplace ? Start by examining your language, Thinkwithgoogle.com)

Quand on parle de handicap, la question de la précision est cruciale : parce que le handicap peut être visible ou invisible, parce que le handicap peut être physique ou mental, parce que le handicap peut être plus ou moins lourd, permanent, intermittent ou évolutif, parce que notre connaissance des pathologies qui causent les handicaps évoluent et que la perception sociale des handicaps aussi.
Par exemple, il y a des différences factuelles entre une personne aveugle et une personne malvoyante, entre une personne sourde et malentendante. Dire d’une personne qu’elle est malvoyante plutôt qu’aveugle peut nous donner l’impression (surtout si on est soi-même voyant·e) d’être plus politiquement correct, d’utiliser un langage adouci plus pudique quand en réalité il ne reflète simplement pas la réalité de cette personne. Comme je le partageais dans ma déconstruction du mot noir, la question n’est pas pour les personnes valides de trouver la formulation qui les fait se sentir plus à l’aise mais de s’éduquer pour apprendre quel est le mot qui décrit le mieux la réalité du handicap dont on parle, au moment où on en parle. Et les mots évoluent vite : comme pour les identités de genre dont le vocabulaire est très dynamique, les avancées scientifiques et médicales sur les handicaps nous poussent régulièrement à revoir la manière de les nommer : c’est ainsi qu’aujourd’hui on ne parle plus tant d’autisme mais plutôt de troubles du spectre autistique (pour refléter la variété des formes que peut prendre l’autisme).

Je sais que ce n’est pas facile : moi-même qui suis sensibilisée à cette question sans être concernée personnellement, je sais les limites de ma connaissance. Et il est possible que dans les lignes qui précèdent j’ai écrit des mots imprécis. En revanche, je sais que quand je parle de handicap, je dois faire preuve d’une attention supplémentaire (et au fond, c’est ça le langage inclusif, porter une attention particulière aux mots qu’on emploie). Cette attention ne va pas m’empêcher de faire des erreurs mais va me pousser à faire deux choses : m’éduquer sur les handicaps pour choisir les mots les plus précis possibles et mettre en œuvre le deuxième principe critique du langage inclusif, interroger les personnes concernées.

Les mots justes sont ceux des personnes concernées

Dites-vous “personne handicapée” ou “personne en situation de handicap” ? Cette question n’est pas si simple qu’il n’y paraît car il n’y a pas de bonne réponse à y apporter. La meilleure formulation est celle qui conviendra à la personne concernée par le handicap.

Dans le podcast La Série Documentaire : Handicap, la hiérarchie des vies, une femme exprime sa préférence pour l’expression personne handicapée à celle de personne en situation de handicap, car pour elle le handicap est une oppression de la société validiste dans laquelle nous vivons : elle est handicapée par la société qui ne lui est pas accessible et ne fait que peu d’effort pour le devenir, car le fait d’être valide (sans handicap) est perçu comme la norme à laquelle les personnes handicapées doivent s’adapter (je reprends ce paragraphe d’un article que j’ai consacré à l’emploi de la forme passive en langage inclusif).

Il existe une distinction conceptuelle utile pour mieux saisir la complexité de cette question : on distingue le langage centré sur l’identité (identity-first language) et le langage centré sur la personne (person-first language ou people-first language).

...