La France, en retard sur le langage inclusif ?

Pour le retour de la newsletter re·wor·l·ding, je vous partage 3 souvenirs de vacances : l'Écosse et son espace public inclusif, la petite phrase que vous n'avez peut-être pas entendue pendant les JO, et les nouveaux ajouts à ma galerie de pubs inclusives. En cadeau, une invitation se cache dans cet email. Saurez-vous la retrouver ?

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5 min ⋅ 24/09/2024

En vacances, j’oublie tout. Enfin, disons que j’essaie d’opérer une déconnexion totale du travail : pas de LinkedIn ni d’Instagram, pas d’email de boulot, pas de création de contenu que personne ne lit de toute façon.
Mais comme mon principal sujet d’expertise, c’est le
langage inclusif et que je passe mon temps à décortiquer la présence et l’absence de langage inclusif dans l’espace public, c’est difficile de mettre des œillères sous prétexte que c’est le mois d’août. Mes lunettes inclusives, je les porte 24/7.
Je vous propose donc un petit récap de ce qui m’a tapé dans l’œil (et dans l’oreille) pendant mes vacances.

L’Écosse : sans Nessie mais en inclusif

La première étape de mes vacances a été un séjour de 10 jours en Écosse : je ne vais pas vous faire un compte-rendu détaillé du voyage, je ne peux que vous recommander d’y aller au moins une fois dans votre vie si vous en avez l’opportunité. C’est sublime (et faisable en train).

J’étais déjà allée en Ecosse il y a une douzaine d’années mais
en 2012, mon attention aux questions de diversité, d’équité et d’inclusion n’était pas si développée. Cette année, j’ai été scotchée.

Que ce soit dans les parcs nationaux, dans les toilettes d’un hôtel ou en visitant un château, partout j’ai observé 3 choses :

  • Une attention manifeste à la diversité et la mixité de genre des représentations : oui, on peut montrer un homme noir faisant de la randonnée, oui l’histoire est faite par les héros et les héroïnes, oui, les femmes aussi ont été pionnières de l’alpinisme.

  • des standards d’accessibilité pour une expérience culturelle inclusive : exemple le plus frappant, la visite du Yacht Royal Britannia avec un audioguide aussi disponible dans une version pensée spécifiquement pour les personnes aveugles et malvoyantes, un script disponible en Braille, une version en langue des signes anglaise, des scripts en 30 langues différentes pour les personnes sourdes ou malentendantes, et une version dans un anglais simplifié pour les personnes avec des difficultés d’apprentissage. Rien que ça.

  • La déconstruction des stéréotypes, jusque dans les toilettes, avec des pictogrammes non-genrés

Je vous laisse juger par vous-mêmes, j’ai tout expliqué sur Instagram ou LinkedIn👇🏻

Autant vous dire que par comparaison la France semble bien en retard. Même si cet été, on a certainement fait quelques progrès.

Jeux 2024 : « Levez-vous, si vous le pouvez »

Depuis l’Écosse, j’ai suivi la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024. Il a beaucoup été dit et écrit sur cette cérémonie, et je ne peux qu’ajouter ma voix à celles qui ont loué la diversité des représentations qui ont été offertes aux millions de spectateurs et de spectatrices. C’était beau, c’était émouvant, c’était drôle, c’était audacieux, c’était féministe, c’était inclusif.

Cela étant dit, il y a peut-être
un élément moins visible que les performances de la cérémonie d’ouverture que je retiens particulièrement parce qu’il rentre parfaitement dans le cadre de ce que je considère être un langage inclusif : il est de rigueur que lors de la diffusion des hymnes nationaux pendant les cérémonies d’ouverture ou de clôture, et même à chaque remise de médaille, on demande au public de se lever. Or Paris a inauguré la mise à jour de ce script pour y intégrer une phrase très simple mais profondément inclusive : « Levez-vous, si vous le pouvez », « quatre mots imaginés par Ludivine Munos, en charge de l’accessibilité pour Paris 2024, qui sonnent comme « une révolution » pour les personnes en fauteuil roulant ou ayant un handicap invisible » (Le Parisien, 7 août 2024).

L’idée, c’était que les personnes en situation de handicap ne se sentent pas différentes et mal à l’aise au moment des hymnes, ça enlève une gêne, ça va déculpabiliser », analyse dans le quotidien la triple championne paralympique de natation, médaillée aux Jeux d’Atlanta, de Sydney et d’Athènes (« Levez-vous si vous le pouvez »: aux JO, la formule unanimement saluée, témoin d’une cérémonie plus inclusive , RMC Sport, 12 août 2024).

De nombreuses personnes handicapées se sont exprimées pour saluer cette mise à jour : 4 mots qui ont n’ont pas coûté un centime mais ont eu un véritable impact sur le sentiment d’inclusion de milliers de personnes. Imbattable comme ROI.
C’est ce que partage aussi Tony Estanguet, triple champion olympique de canoë et président du Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 :

L’inclusion, ça va jusqu’à utiliser les bons mots pour essayer d’embarquer le plus de monde, d’être le plus tolérant et le plus respectueux possible. Sans le vouloir, on peut parfois être discriminant.

Une bonne occasion aussi de s’interroger sur la manière de parler des personnes concernées par le handicap : personne en situation de handicap ? personne handicapée ? handi ?
Une question
sans réponse unique mais qui est emblématique, à mon sens, de l’esprit critique qu’il faut déployer quant au vocabulaire qui désigne les personnes discriminées. J’en parlais sur la scène du salon Inclusiv’Day il y a quelques mois : vous pouvez toujours écouter mon intervention de 20 minutes sur le site de l’évènement.

Alors oui, on a fait des progrès cet été, mais vont-ils durer ? Réussira-t-on à dépasser l’activisme performatif, c’est-à-dire le fait de donner en spectacle des valeurs de façade sans réel engagement ou pratique concrète ? Pour ce qui est de Thomas Jolly, directeur artistique des JO, je n’ai pas de doute sur l’authenticité de l’engagement. Pour notre nouveau gouvernement, qui a supprimé le mot « handicap » du nom de ses ministères, je suis moins sûre.

Du métro parisien à la campagne icaunaise, l’inclusif s’affiche

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Par Alicia Birr

Un des éléments fondamentaux pour cultiver son regard critique sur les mots est de toujours avoir en tête où se situe celle ou celui qui écrit : notre âge, notre genre, notre passé, notre présent, nos conditions de vie influencent évidemment ce que nous ressentons, pensons et comment nous l’exprimons avec des mots (si même on parvient à l’exprimer, soit parce que l’on manque des mots pour le faire ou que l’on n’a pas d’espace où rendre publics, visibles ces mots).

Aussi, il me semble inconcevable de contribuer à cette vaste entreprise d’éducation par la déconstruction du langage sans dire où moi, je me situe.
Je suis une femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, en couple, mariée, mère de trois enfants, dans ma quarantaine, vivant à Paris, doublement diplômée dans des cursus dits prestigieux, ancienne cadre dans une entreprise multinationale, aujourd’hui indépendante, je suis privilégiée.
Je suis une femme qui a été témoin de violences sexistes depuis son enfance, qui a été harcelée, qu’un homme a tenté d’agresser dans le métro sans que personne n’intervienne, qu’on a traitée de conne en réunion, qui a subi des violences obstétricales.
Je suis une femme féministe, qui a milité dans une association LGBTQI+, qui a été hôtesse d’accueil à la Défense, qui a créé, dirigé puis fermé son entreprise, qui adore l’école, qui aime beaucoup parler en public et former les gens, qui coache d’autres femmes.

Récemment, j’ai réfléchi à la notion de syndrome d’imposture et j’ai décidé de bannir cette expression de mon vocabulaire. Il y a plein de raisons que je pourrais invoquer pour délégitimer ma position : que je ne suis pas linguiste ou que je n’ai jamais été créa dans une agence de com. Mais il y a quelques temps j’ai entendu Aurélien Barrau, astrophysicien et philosophe, parler de sa propre légitimité à s’exprimer sur les questions écologiques, dont il n’est a priori pas expert sur le papier. Aux critiques qui cherchent à déligitimer son discours, donc, il répond simplement : “Mais je m’en fous, je sais que ce que je dis est intéressant”. Et j’ai décidé que pour moi, c’est pareil.

J’ai même envie de dire que c’est parce que je ne suis pas linguiste que ce que j’écris est intéressant : parce que c’est ancré dans le concret de mon quotidien, parce que c’est dit avec des mots accessibles (en tout cas, j’espère). Et que c’est nourri par mes expériences personnelles et professionnelles : j’ai travaillé dans la musique, dans la mode, dans les médias, chez Google, en tant que coach, productrice évènementielle, j’ai travaillé avec des bouts de ficelles et des moyens dispendieux, je suis retournée deux fois me former pour compléter ma formation initiale en sciences politiques.

Aujourd’hui, tout ça s’articule, les points se relient, et je donne du sens à mon parcours sur le vaste terrain de jeu du langage inclusif avec re·wor·l·ding, qui se veut à la fois un espace pédagogique de création de contenu accessible à toutes et à tous, et un véhicule pour faire de la formation et du conseil en communication inclusive dans les entreprises, ainsi que du coaching en management et leadership inclusif.

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