Comment reconnaître un discours réactionnaire ?

Comment continuer à parler d'inclusion alors que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir ? En vous aidant à débusquer les discours réactionnaires. En bonus, un plot twist final : quand on parle de la langue, et si c'était moi la réac ?

re·wor·l·ding
7 min ⋅ 27/06/2024

Je me revois très bien en train d’écrire la dernière newsletter où j’ai analysé la propagande électorale des élections européennes. Stabiloter, compter, faire des blagues, j’ai pris du plaisir à l’écrire, même si les conclusions de l’analyse étaient décevantes. Puis le résultat, prévisible, m’a fait redescendre tout de suite. Enfin est venue l’annonce de la dissolution, et là, ça a été la douche froide.
Depuis, j’ai passé beaucoup de temps à militer sur les réseaux, sur LinkedIn et Instagram : j’ai parlé des personnes qui se disent “engagées mais pas militantes”, des évènements corporate ET politiques, j’ai fait une vidéo sur le micro-féminisme, j’ai parlé de burn out militant, de ma peur de ne pas être une vraie Française. J’ai aussi partagé cette publicité, photographiée lundi dans la rue, où on lit ce slogan : “Parier, c’est pas rien. A trop vouloir gagner, on finit toujours par perdre”. J’y lis plus un message au Président de la République qu’une campagne de prévention sur l’addiction au jeu.

Tout ce temps passé à militer, je ne l’ai pas passé à trouver des idées pour cette newsletter. Comme je suis une écolo du contenu, dans un cas comme celui-là, je recycle. En l’occurrence je vous (re)partage un article que j’ai écrit en juillet 2021 et dont le sujet me semble plus que jamais d’actualité. Puisqu’après tout, mon objectif est de vous encourager à cultiver votre esprit critique sur les mots, vous outiller pour débusquer la rhétorique réactionnaire dans l’espace public et médiatique, ça marche aussi, surtout en ce moment (d’ailleurs, je vous recommande très vivement cette vidéo de Blast “Législatives : chaos politique et fiasco médiatique” pour y voir plus clair). Alors débusquons les discours réactionnaires partout où ils sont, en partant de l’exemple très concret du “débat” sur le langage inclusif.

Être contre l’écriture inclusive est-il réactionnaire ?

J’ai découvert un livre qui est apparemment un classique de la sociologie politique : Deux siècles de rhétorique réactionnaire de Albert O. Hirschman.  C’est un ouvrage paru en 1991 dans lequel l’auteur, économiste et sociologue, s’appuie sur trois moments-clés dans l’acquisition des droits civils (les droits de l’homme au 18e, que je préfère évidemment appeler les droits humains aujourd’hui), politiques (le suffrage universel au 19e qui, rappelons-le, était universel mais sans les femmes) et économiques et sociaux (l’état-providence du 20e siècle) pour démontrer comment les positions des réactionnaires, des “contre-offensives idéologiques d’une force extraordinaire”, s’articulent autour de 3 types d’arguments immuables qu’il appelle la “rhétorique réactionnaire”.

J’ai été frappée par le parfait calque avec les arguments des opposant·es au langage inclusif, et surtout ce à quoi le débat public et médiatique le réduit aujourd’hui, c’est-à-dire l’écriture inclusive et encore plus spécifiquement le point médian. D’ailleurs, j’ai appris plus tard (merci Wikipédia) que “les chercheuses féministes font souvent appel à la description de la rhétorique réactionnaire proposée par Albert Hirschman pour rendre compte des formes prises par des discours sexistes” et je me suis donc dis que je ne m’étais pas complètement trompée.

Les 3 types d’arguments mis en avant sont la thèse de l’effet pervers, la thèse de l’inanité, la thèse de la mise en péril (perversity, futility, jeopardy dans la version originale).

L’effet pervers ou quand l’écriture inclusive deviendrait excluante

La thèse de l’effet pervers consiste à dire que “toute action qui vise directement à améliorer un aspect quelconque de l’ordre politique, social ou économique ne sert qu’à aggraver la situation que l’on cherche à corriger”. 

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Par Alicia Birr

Un des éléments fondamentaux pour cultiver son regard critique sur les mots est de toujours avoir en tête où se situe celle ou celui qui écrit : notre âge, notre genre, notre passé, notre présent, nos conditions de vie influencent évidemment ce que nous ressentons, pensons et comment nous l’exprimons avec des mots (si même on parvient à l’exprimer, soit parce que l’on manque des mots pour le faire ou que l’on n’a pas d’espace où rendre publics, visibles ces mots).

Aussi, il me semble inconcevable de contribuer à cette vaste entreprise d’éducation par la déconstruction du langage sans dire où moi, je me situe.
Je suis une femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, en couple, mariée, mère de trois enfants, dans ma quarantaine, vivant à Paris, doublement diplômée dans des cursus dits prestigieux, ancienne cadre dans une entreprise multinationale, aujourd’hui indépendante, je suis privilégiée.
Je suis une femme qui a été témoin de violences sexistes depuis son enfance, qui a été harcelée, qu’un homme a tenté d’agresser dans le métro sans que personne n’intervienne, qu’on a traitée de conne en réunion, qui a subi des violences obstétricales.
Je suis une femme féministe, qui a milité dans une association LGBTQI+, qui a été hôtesse d’accueil à la Défense, qui a créé, dirigé puis fermé son entreprise, qui adore l’école, qui aime beaucoup parler en public et former les gens, qui coache d’autres femmes.

Récemment, j’ai réfléchi à la notion de syndrome d’imposture et j’ai décidé de bannir cette expression de mon vocabulaire. Il y a plein de raisons que je pourrais invoquer pour délégitimer ma position : que je ne suis pas linguiste ou que je n’ai jamais été créa dans une agence de com. Mais il y a quelques temps j’ai entendu Aurélien Barrau, astrophysicien et philosophe, parler de sa propre légitimité à s’exprimer sur les questions écologiques, dont il n’est a priori pas expert sur le papier. Aux critiques qui cherchent à déligitimer son discours, donc, il répond simplement : “Mais je m’en fous, je sais que ce que je dis est intéressant”. Et j’ai décidé que pour moi, c’est pareil.

J’ai même envie de dire que c’est parce que je ne suis pas linguiste que ce que j’écris est intéressant : parce que c’est ancré dans le concret de mon quotidien, parce que c’est dit avec des mots accessibles (en tout cas, j’espère). Et que c’est nourri par mes expériences personnelles et professionnelles : j’ai travaillé dans la musique, dans la mode, dans les médias, chez Google, en tant que coach, productrice évènementielle, j’ai travaillé avec des bouts de ficelles et des moyens dispendieux, je suis retournée deux fois me former pour compléter ma formation initiale en sciences politiques.

Aujourd’hui, tout ça s’articule, les points se relient, et je donne du sens à mon parcours sur le vaste terrain de jeu du langage inclusif avec re·wor·l·ding, qui se veut à la fois un espace pédagogique de création de contenu accessible à toutes et à tous, et un véhicule pour faire de la formation et du conseil en communication inclusive dans les entreprises, ainsi que du coaching en management et leadership inclusif.

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