J'aurais pu changer de sujet, me recentrer sur l'actualité du moment, et même renoncer face à l'actualité du moment. Mais rester dans l'action permet de surmonter la violence du quotidien. Une violence qu'on retrouve à différentes échelles, notamment sur les murs du métro, où la grossophobie s'est récemment affichée en 4 par 3 au nom de l'écologie.
Je réfléchis beaucoup aux notions de priorités et de décence ces jours-ci. En ce moment, l’actualité autour du sujet qui me mobilise, de nouveau sous le feu des projecteurs depuis que le Sénat a adopté une proposition de loi pour interdire l’écriture inclusive, me confronte à un paradoxe intérieur : j’ai envie de défendre ce sujet bec et ongles, mais est-ce vraiment la priorité alors que le monde vit dans le chaos ? Est-il décent d’aller saisir chaque opportunité de faire de la pédagogie quand les bombes tombent ? Est-il hypocrite de me poser ces questions maintenant alors que l’humanité n’a pas attendu l’actualité récente pour vivre dans la violence et dans la haine ? Faut-il, au fond, hiérarchiser les luttes ?
Dans ces cas-là, pour ne pas sombrer dans la paralysie et l’anxiété, je me rappelle l’existence d’un outil mis au point par Steven Corvey, le cercle d’influence, qui répartit nos sources d’inquiétude en 3 cercles concentriques pour nous aider à passer à l’action sur ce qui compte vraiment : le plus grand cercle, qui englobe tous les autres, est celui des préoccupations (concern), c’est-à-dire tout ce qui nous inquiète ; le second est celui de l’influence où les personnes proactives vont se concentrer et influencer le cours des évènements en fonction de leurs capacités et leur position ; le troisième est le cercle du contrôle, celui des sujets sur lesquels on a une maîtrise directe des évènements. Ce cercle est différent pour chaque personne en fonction de sa situation personnelle, de son réseau, de son pouvoir d’agir aussi.
En ce moment, je sais qu’il y a un sujet sur lequel je peux avoir une influence et je l’exerce : je peux contribuer au débat sur l’écriture inclusive (que je préfère appeler langage inclusif, d’ailleurs) en apportant des éléments de compréhension pour que chacun et chacune puisse se faire un avis éclairé. Je l’ai fait en créant une vidéo pédagogique sur Instagram, en partageant ma vision du pouvoir du langage dans la culture d’entreprise dans le podcast Inclusivement vôtre de Laura Driancourt ou Les Alignées de Charline Moreau, en signant aux côtés de 130 autres féministes une tribune parue dans Le Monde initiée par Eliane Viennot et Typhaine D, en même en allant sur CNews participer à un « débat ».
Pour moi, agir dans ma zone d’influence est une manière d’avoir un impact immédiat mais aussi de continuer à élargir les horizons de réflexion pour le futur. Cette proposition de loi sur l’interdiction de l’écriture inclusive est la 9e depuis 2018, et certainement pas la dernière. Elle mobilise des arguments calqués sur la rhétorique réactionnaire décrite par Albert O. Hirschman et nous enferme dans une vision typographique et genrée du langage inclusif : on ne parle que de point médian et, parfois, d’égalité femmes-hommes. Alors que pour moi, le langage inclusif, c’est bien plus que ça.
En France, et plus généralement, dans les pays qui ont une langue grammaticalement genrée comme l’espagnol, l’allemand ou l’italien, on pense souvent le langage inclusif par le seul prisme du genre (et d’ailleurs dans une perspective très binaire femmes-hommes). Inspirée par les pratiques états-uniennes qui parlent de langage inclusif et précis, j’élargis ma conception du langage inclusif pour analyser tous les termes qui désignent des personnes, les expressions et les messages qui véhiculent des stéréotypes et renforcent les discriminations. Si on prend un exemple très concret, défaire le discours grossophobe dans la publicité est pour moi une des facettes d’une communication inclusive. La dernière campagne de Nos Gestes Climat est un bel exemple, si l’on peut dire, de décryptage utile pour continuer à élargir notre réflexion sur les mots qui nous entourent, qu’ils fassent l’actualité ou non.
Quand j’ai vu cette campagne pour la première fois, en 4 par 3 dans le métro à Paris, je suis restée en arrêt, littéralement. On y voit une femme, regardant son téléphone, faisant une mine effarée, bouche ouverte, avec le texte « Et vous, connaissez-vous votre poids ? ».
« Oh my god, je pèse 10 tonnes »
Cette affiche, qui s’inscrit dans une campagne plus large comportant au moins 5 visuels tous sur le même modèle (avec des femmes et des hommes, c’est au moins mixte), émane de Nos Gestes Climat, un calculateur d’empreinte carbone développé par l’Agence de la transition écologique (ADEME) et beta.gouv.fr, en partenariat avec l’Association Bilan Carbone (ABC). Son objectif est de nous encourager à calculer notre empreinte carbone individuelle (exprimée en tonnes de CO2) pour prendre conscience de notre impact sur l’environnement et identifier des moyens de le réduire.
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