commenter or not commenter ?

Pourquoi les hommes ne commentent-ils pas les publications des femmes sur LinkedIn, qu'elles parlent de violence, de carrière ou même simplement de leurs sourcils ? Comment les aider à sortir du silence ? Et comment en finir avec les euphémisations constantes du vocabulaire des violences sexistes et sexuelles ? Début de réponses.

re·wor·l·ding
1 min ⋅ 22/11/2024

Ce qui me vient en tête alors que j'essaie de trouver une accroche pour cet article est l'impression de télescopage. Celui de deux évènements, un passé et un futur, qui ont mis un mot au coeur des mes réflexions et de mon activité récente sur les réseaux sociaux : la violence.

La violence du silence

une histoire de sourcils

Le premier évènement est mineur et insignifiant à l'échelle de ce que le monde vit en ce moment : après avoir été interviewée par Welcome to the Jungle sur le langage inclusif dans une vidéo qui a été beaucoup vue et partagée, notamment sur Linkedin et Instagram, j'ai reçu pour la première fois des commentaires désobligeants sur mon apparence physique. Vu leur nature absurde, ça m'a plutôt fait rigoler.

Mais ce qui m'a beaucoup moins fait rire, c'est que quand j'en ai parlé sur LinkedIn, seules des femmes ont partagé des commentaires de soutien (oui, c’est stressant cette histoire de sourcils).

Presque aucun homme ne l'a fait.

Ce n'était évidemment pas la première fois que je faisais ce constat : de manière générale, sur les réseaux, les personnes qui me suivent et réagissent à mes publications sont des femmes en grande majorité. Et apparemment, les femmes de mon entourage observent la même chose sur leur propre feed : ce sont d'autres femmes qui les soutiennent, les félicitent, les questionnent.

Là, c'était la goutte de trop. Je veux bien entendre (et encore) que les hommes aient du mal à prendre la parole sur les violences systémiques, mais sur une histoire de sourcils, non. Alors j'ai utilisé les réseaux pour essayer de comprendre les réseaux et j'ai demandé aux hommes qui me suivent pourquoi ils ne commentent pas mes publications.

les peurs des hommes

Des nombreuses interactions qui ont suivi j'ai compris les principales raisons :

  • Commenter, c'est se rendre vulnérable
    - difficulté à exprimer des émotions en général, et a fortiori en ligne
    - préférence pour les conversations privées entre hommes plutôt que les conversations publiques sur les réseaux
    - peur de s'afficher comme soutien des femmes

  • Commenter, c'est s'immiscer dans un espace où on ne se sent pas bienvenu
    - intériorisation de l'injonction à se taire pour ne pas "mansplainer"
    - peur d'être attaqué ou rejeté

  • Commenter, c'est être intellectuellement irréprochable
    - peur d'être illégitime sur un sujet qui ne les concernerait pas
    - peur de ne pas pouvoir apporter une valeur ajoutée, de rester creux et superficiel


Ce qui me frappe dans ces raisons, c'est qu'elles sont pour beaucoup traversées par la notion de violence, et notamment la conscience de certains hommes de pouvoir ajouter de la violence à la violence (par exemple en commentant le post d'une femme qui parle d'agression sexuelle) en pénétrant (mot que j'use à dessein) dans l'espace des commentaires, un espace public (puisque sur un réseau social relativement ouvert), mais considéré comme une extension de l'espace privé des femmes, où elles se retrouveraient entre elles et rejèteraient les hommes qui voudraient en faire partie.

Ce raisonnement est dans la lignée de l'image de la maison qui circule souvent quand on essaie de décourager (en général, en vain) les trolls et autres haters qui viennent insulter ou harceler en ligne : qu'est-ce qui se passerait si je venais dans ta maison sans y être invitée pour déverser des insultes sur ton canapé ? Mon compte Insta c'est ma maison, n'y entre pas qui veut.

Dans cette logique, on peut comprendre les peurs des hommes à y entrer sans consentement car ils considèrent les publications LinkedIn des femmes comme des espaces privés, de non-mixité.

Sauf que LinkedIn, encore plus que les autres réseaux sociaux comme Instagram ou TikTok, est pour moi une continuité de l'espace public, notamment parce que (en théorie) les identités n'y sont pas anonymes. Et dans cet espace, chacun et chacune doit pouvoir s'exprimer.

Est-ce à dire qu'on devrait commenter à tout bout de champ ?
Non bien sûr. Là aussi, il faut faire travailler son esprit critique pour aviser en fonction des situations et des contextes.

Et surtout, il faut se souvenir qu'un commentaire, bien plus qu'un simple like ou une réaction, c'est aussi une manière, notamment pour les hommes, de démontrer concrètement leur engagement pour l'égalité de genre.

le chemin de Bloup

Parce que nous sommes des infatigables pédagogues du féminisme, ma copine / collègue de collectif Kapik Namias-Muntlak et moi avons imaginé un outil pour guider (celles mais surtout) ceux qui hésitent à commenter les publications écrites par des femmes (ou de manière générale des personnes) qui partagent une nouvelle professionnelle mais surtout un témoignage difficile ou un engagement politique.

Cet outil prend la forme du chemin de Bloup, un personnage qui se balade sur les réseaux, tombe sur un post qui l'interpelle mais ne sait pas s'il faut le commenter ou pas et si oui, comment.

Je vous laisse découvrir Bloup sur LinkedIn , Instagram ou en version affiche téléchargeable, diffusable et partageable à qui vous le voudrez.

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re·wor·l·ding

re·wor·l·ding

Par Alicia Birr

Un des éléments fondamentaux pour cultiver son regard critique sur les mots est de toujours avoir en tête où se situe celle ou celui qui écrit : notre âge, notre genre, notre passé, notre présent, nos conditions de vie influencent évidemment ce que nous ressentons, pensons et comment nous l’exprimons avec des mots (si même on parvient à l’exprimer, soit parce que l’on manque des mots pour le faire ou que l’on n’a pas d’espace où rendre publics, visibles ces mots).

Aussi, il me semble inconcevable de contribuer à cette vaste entreprise d’éducation par la déconstruction du langage sans dire où moi, je me situe.
Je suis une femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, en couple, mariée, mère de trois enfants, dans ma quarantaine, vivant à Paris, doublement diplômée dans des cursus dits prestigieux, ancienne cadre dans une entreprise multinationale, aujourd’hui indépendante, je suis privilégiée.
Je suis une femme qui a été témoin de violences sexistes depuis son enfance, qui a été harcelée, qu’un homme a tenté d’agresser dans le métro sans que personne n’intervienne, qu’on a traitée de conne en réunion, qui a subi des violences obstétricales.
Je suis une femme féministe, qui a milité dans une association LGBTQI+, qui a été hôtesse d’accueil à la Défense, qui a créé, dirigé puis fermé son entreprise, qui adore l’école, qui aime beaucoup parler en public et former les gens, qui coache d’autres femmes.

Récemment, j’ai réfléchi à la notion de syndrome d’imposture et j’ai décidé de bannir cette expression de mon vocabulaire. Il y a plein de raisons que je pourrais invoquer pour délégitimer ma position : que je ne suis pas linguiste ou que je n’ai jamais été créa dans une agence de com. Mais il y a quelques temps j’ai entendu Aurélien Barrau, astrophysicien et philosophe, parler de sa propre légitimité à s’exprimer sur les questions écologiques, dont il n’est a priori pas expert sur le papier. Aux critiques qui cherchent à déligitimer son discours, donc, il répond simplement : “Mais je m’en fous, je sais que ce que je dis est intéressant”. Et j’ai décidé que pour moi, c’est pareil.

J’ai même envie de dire que c’est parce que je ne suis pas linguiste que ce que j’écris est intéressant : parce que c’est ancré dans le concret de mon quotidien, parce que c’est dit avec des mots accessibles (en tout cas, j’espère). Et que c’est nourri par mes expériences personnelles et professionnelles : j’ai travaillé dans la musique, dans la mode, dans les médias, chez Google, en tant que coach, productrice évènementielle, j’ai travaillé avec des bouts de ficelles et des moyens dispendieux, je suis retournée deux fois me former pour compléter ma formation initiale en sciences politiques.

Aujourd’hui, tout ça s’articule, les points se relient, et je donne du sens à mon parcours sur le vaste terrain de jeu du langage inclusif avec re·wor·l·ding, qui se veut à la fois un espace pédagogique de création de contenu accessible à toutes et à tous, et un véhicule pour faire de la formation et du conseil en communication inclusive dans les entreprises, ainsi que du coaching en management et leadership inclusif.

Vous pouvez aussi me suivre sur LinkedIn.

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