Que ce soit pour promouvoir un service destiné au monde professionnel ou pour partager des conseils de vie au grand public, les figures d'autorité n'existent souvent qu'au masculin dans la langue. Pourtant, la diversification des expertises et des personnes qui les incarnent est plus que jamais cruciale pour la santé du débat démocratique.
J’ai développé différentes expertises dans ma carrière : la nouvelle scène musicale française au début des années 2000, le monde du luxe vers 2010 et aujourd’hui le langage inclusif. Pour moi, être experte d’un sujet a toujours été important. J’aime occuper la posture de celle qui sait mais aussi de celle qui transmet, savoir et transmission étant à mon sens les deux facettes intimement liées de la position d’experte. Et puis quand on est une femme experte (pléonasme assumé, vous allez voir pourquoi par la suite), on comprend rapidement que les mécaniques sexistes et misogynes du monde dans lequel nous vivons comptent double pour celles qui non seulement veulent prendre la parole mais en plus incarner une figure d’autorité dans un champ de compétences données. Et c’est pourquoi je trouve franchement agaçante cette pub vue dans le métro il y a quelques jours.
C’est une campagne pour un service qui met en relation des entreprises et “des consultants ou managers de transition indépendants”. On y lit le slogan : “Voici l’expert des experts pour trouver des experts”.
Les expertes ont été flou(t)ées pour respecter leur vie privée
Cette campagne a un deuxième volet où on lit : “Les meilleurs consultants indépendants à portée de main” à côté d’une image de femme. On note que sa tenue est emblématique de ce qui est considéré comme un vestiaire typiquement masculin (chemise blanche, veste de costume, couleurs sombres). On comprend qu’on peut faire confiance à cette femme : ses rides témoignent de son expérience, son vestiaire de son sérieux corporate, et son ordinateur de ses compétences (d’ailleurs elle est notée 5 étoiles).
Florence a la tête de l'emploi
Ce qui est évidemment agaçant dans cette campagne est l’utilisation du masculin dit générique pour parler des experts et des expertes (puisqu’il y en a, on le voit sur la deuxième affiche). Comme on sait (les sources scientifiques, c’est pas ici) que dire le masculin dans la langue convoque des représentations plutôt masculines dans la tête, parler uniquement des experts invisibilise les femmes et contribue à renforcer des stéréotypes de genre sur des métiers et des fonctions (l’expertise, c’est un truc de mecs).
Ce qui est terriblement frustrant ici, c’est que ce masculin dit générique est doublement pénalisant quand on parle d’une position assimilée à une figure d’autorité et plus largement des positions prestigieuses et puissantes dont les femmes ont été écartées (et continuent de l’être). Si le mot autrice (et ses copines philosophesse, libraresse, jugesse…) a été progressivement gommé de l’usage par des politiques linguistiques sexistes (je vous renvoie aux travaux d‘Eliane Viennot pour tout savoir de l’histoire de la masculinisation de la langue française), c’est que les hommes de l’Académie Française ne voyaient pas d’un bon oeil qu’une femme exerce ce métier de prestige et d’influence. Nommer les femmes qui écrivent autrices fait partie de ce processus de démasculinisation de la langue et des esprits. De même, dire le féminin “expertes” participe de la déconstruction des stéréotypes de genre associés aux fonctions et métiers prestigieux que les hommes se sont longtemps arrogés.
Alors évidemment, je comprends ce qu’on cherche à dire dans cette pub et la construction du slogan n’est pas inintéressante : mais comme je l’écrivais il y a quelques semaines, le slogan ou l’accroche ont une force spécifique et il serait vraiment utile que les entreprises commencent à penser le genre des mots des slogans. Ici, le fait de marteler le mot “expert” 3 fois au masculin enfonce encore plus le clou du genre du mot. Honnêtement, ce slogan me fait l’effet d’un boy’s club de l’expertise. Et on aurait pu faire autrement pour rendre cela plus mixte, en formulant différemment : “Notre expertise : trouver celle dont vous avez besoin”. Le point médian se prête bien au mot expert·e même si le répéter 3 fois alourdirait trop le slogan. Cela étant dit, on aurait pu en mettre au moins un : “Voici l’expert des experts pour trouver des expert·es”, qui aurait signalé qu’on y a pensé. Et dans l’affiche avec la manager de transition, on aurait pu assumer de tout mettre au féminin et incarner le message : “Florence, une des nos meilleures consultantes indépendantes à portée de clic” (je n’aime pas beaucoup qu’une personne, a fortiori une femme, soit “à portée de main”).
Quelques jours après avoir vu cette pub, j’ai atterri sur le site Mentorshow, un genre de Masterclass à la française qui propose des conseils de mentors pour trouver “des réponses à ses problèmes en 15 minutes par jour”. Ne vous méprenez-pas, je ne trouve pas le concept idiot et mon ton n’est pas sarcastique. Je trouve plutôt super d’avoir accès (sur abonnement) à des contenus de savoir, d’expertise et de développement personnel à travers des vidéos qu’on peut regarder quand on veut et à son rythme. Ce qui me choque, c’est l’uniformité du profil des mentors. Des hommes. Blancs. Aux tempes grisonnantes (ce qui n’est pas un problème un soi mais trahit une forme de confusion entre l’expertise et l’expérience, c’est-à-dire l’idée que l’expertise – et la capacité de conseil qu’on y associe – est uniquement une forme de sagesse de l’âge qui exclut les moins de 30 ans).
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