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Langage inclusif dans l'espace public, vieux stéréotypes, nouveaux imaginaires : une newsletter pour cultiver son esprit critique en décryptant les mots qui nous entourent.

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Par Alicia Birr
16 mai · 5 mn à lire
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lectrice, n.f. : femme à l'eau de rose

Le marketing genré, vous connaissez. Mais avez-vous déjà prêté attention à la manière dont les mots "lectrices" et "lecteurs" sont utilisés pour promouvoir les livres ? Parce qu'en y regardant de plus près, il y a pas mal à déconstruire par ici aussi...

Si vous n’avez pas la définition précise du marketing genré en tête, vous en avez forcément fait l’expérience, sans peut-être même le savoir. Parce que vous le croisez tous les jours, des rayons du supermarché à ceux de la librairie.

Marketing genré, rien de nouveau sous le soleil

Un des exemples les plus emblématiques est celui des rasoirs au packaging “rose pour les filles” et “bleu pour les garçons” : le même rasoir, ou presque, dans un emballage différent, vendu un peu plus cher aux femmes en vertu de la taxe rose. Mais le marketing genré va plus loin qu’une histoire de couleurs : c’est le fait de penser l’intégralité des dimensions d’un produit (de la conception à la distribution en passant par la communication) en les adaptant aux comportements et attentes distinctes des femmes et des hommes. Cette pratique s’appuie sur les nombreuses études qui montrent qu’en effet, femmes et hommes peuvent avoir des comportements d’achat différents : par exemple, les femmes et les hommes ne vont pas forcément s’intéresser aux mêmes caractéristiques d’un produit (facilité d’utilisation vs puissance d’une perceuse par exemple). En soi, le marketing genré est une réponse pragmatique à l’observation réelle de différences entre les genres (dans une perspective d’ailleurs très binaire qui considère les femmes d’un côté et les hommes de l’autre en ignorant le reste du spectre du genre).

Sauf qu’évidemment, cela pose plusieurs problèmes majeurs : d’abord, cela contribue à essentialiser les femmes et les hommes, c’est-à-dire renforcer l’idée que les femmes sont par essence, par nature intéressées par certains sujets (au hasard, l’hygiène, la douceur, les bougies parfumées). Or c’est ce que s’attache à déconstruire la notion même de genre qui tend à montrer que nos goûts, nos préférences, nos comportements sont construits socialement (acquis) et non définis par notre sexe biologique (inné).
Ensuite, le marketing genré contribue à renforcer les stéréotypes de genre en étant un des leviers les plus puissants de la construction sociale de l’identité de genre : à force de voir certaines couleurs, certains attributs, certains mots associés à un genre plutôt qu’un autre, on oublie qu’on peut faire différemment. C’est un cercle vicieux.

Alors si vous lisez cette newsletter, il y a fort à parier que vous avez déjà entendu parler de ce sujet et que jusque là vous n’avez rien appris de nouveau. Mais si je commence par ce laïus sur la marketing genré, c’est parce qu’il y a un endroit où vous n’aviez peut-être pas identifié qu’il se cachait aussi : sur la jaquette des livres dans votre librairie de quartier.

Ce qui m’a frappé récemment alors que je prenais comme d’habitude des photos de publicités dans le métro et dans la rue, c’est d’observer comment les mots “lecteurs” et “lectrices ” sont eux-mêmes mobilisés dans le marketing genré des livres. Avoir une réflexion critique sur l’utilisation de ces mots permet d’illustrer 3 principes et stratégies du langage inclusif que les maisons d’éditions devraient considérer.

New romance : quand le féminin se justifie mais se discute

Qu’il y ait des livres markétés pour les femmes, ce n’est pas un scoop. La collection de livres à “l’eau de rose” Harlequin a clairement été pensée pour un lectorat féminin. D’ailleurs, sur le site web de la maison d’édition, on parle explicitement (à) des “lectrices”.

Capture d'écran du site de la maison d'édition HarlequinCapture d'écran du site de la maison d'édition Harlequin

Le succès colossal de la new romance (version réactualisée des romans Harlequin, abordant des problématiques contemporaines comme le désir féminin, le consentement ou l’infidélité avec une pointe d’érotisme par moment) est porté aujourd’hui par un lectorat à 94,9% féminin. Il est donc tout à fait logique ici d’utiliser le féminin pour parler du lectorat d’Elena Armas avec la formulation “les lectrices du monde entier ont déjà craqué” car on accorde le genre grammatical du mot en suivant le principe de la majorité.

Ce choix n’est pas sans interroger, comme je le développais dans l’article sur “la dictatrice et les assistants maternels”, mais il est compréhensible et légitime.
Cela étant dit, même si ce féminin reflète la réalité du lectorat, je pense qu’il serait intéressant d’explorer des formulations inclusives qui déconstruisent l’association systématique de la littérature qui parle d’amour (et plus généralement des émotions, de la vulnérabilité, des sentiments) avec un lectorat féminin. Cette publicité pour le dernier Goncourt, Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea est un exemple parfait : “Lui aussi, il a déjà transporté plus de 700 000 personnes”.

D’après la formule consacrée par Victoire Tuaillon, les hommes aussi devraient mettre “leur coeur sur la table”. D’ailleurs, j’ai envie de lire le premier volet du Bromance Club de Lyssa Kay Adams, intitulé en français Les hommes virils lisent de la romance : déconstruction de la virilité clairement au programme. Mais les “hommes virils” en auront-ils envie, eux ?

Livres engagés : quand le féminin peut repousser les lecteurs

Prenons maintenant l’exemple du livre de Léa Salamé, Femmes puissantes qui “a inspiré 200 000 lectrices” selon son bandeau promotionnel.

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