Marketing et marques d'amour : une histoire qui s'écrit en inclusif

C'est la Saint-Valentin, alors parlons d'amour et de comment les marques de l'amour parlent de l'amour. Et de tout ce qui va autour.

re·wor·l·ding
7 min ⋅ 14/02/2024

Un de secteurs les plus avant-gardistes dans l'utilisation du langage inclusif en publicité est certainement celui de l'amour. Je parle par exemple des applications de rencontre ou des entreprises qui vendent des produits ou des services en lien avec les relations amoureuses ou sexuelles. En ce moment, dans le métro parisien, on peut par exemple voir une campagne de publicité pour Passage du désir, le "N°1 lovestore en France" qui met en avant 3 couples aux profils très différents pour promouvoir les petits cadeaux qui font le grand amour pour la Saint Valentin. L'occasion de revenir sur deux idées qui traversent la question de l'usage du français inclusif en publicité : la théorie du signalement et la distinction entre inclusif et exhaustif.

Parler d’amour, c’est penser le genre (des mots)

La première chose qui a attiré mon attention dans cette campagne est le slogan de la marque "Boutique de cadeaux pour les grand·e·s" qui est écrit en inclusif (avec deux points médians là où un aurait suffi, mais ne chipotons pas), ce qui est suffisamment rare pour être remarqué. Comme je le partageais déjà il y a quelques mois en analysant le slogan de Danone "Champions à tous les âges de la vie", le genre des mots des slogans est la plupart du temps impensé en publicité.

Affiche dans le métro pour la marque Passage du désir Affiche dans le métro pour la marque Passage du désir

Il est assez naturel que la question du genre des mots soit plus présente dans la communication d'entreprises comme Tinder ou Passage du désir car elles sont bâties sur une segmentation des audiences où la question du genre, au sens large, est déterminante.
Quand je parle de genre ici, je parle à la fois d'identité de genre (est-ce que m'identifie comme un homme, une femme, une personne non-binaire), mais aussi d'orientation sexuelle (suis-je attirée par les hommes, les femmes, les deux, aucun des deux) qui sont deux choses tout à fait distinctes mais également cruciales pour ces marques qui peuvent avoir une communication différenciée en fonction de là où chaque consommateur ou consommatrice se situe.
Si la distinction entre identité de genre et orientation sexuelle est floue pour vous, c'est ok , The genderbread person est l'image qu'il vous faut pour tout comprendre en un clin d'oeil.

Réfléchir à la question du genre du langage dans sa communication, a fortiori quand on est une marque qui parle d'amour et de sexualité, c'est reconnaître l'importance de la diversité des expériences des personnes dans leur rapport à leur propre genre ou à celui des personnes qu'elles fréquentent. C'est contribuer à visibiliser ces expériences dans l'espace public. C'est signaler concrètement qu'on les considère comme valides.

Vous me direz certainement qu'on n'a pas besoin que des marques valident notre histoire d'amour ou qui nous sommes et c'est parfaitement vrai. En revanche, le pouvoir d'exposition des marques est tel, leur capacité à créer des imaginaires si puissante, que leur attention au genre des personnes et des mots dans l'espace public à travers la publicité contribue fortement à rendre cette réalité visible mais aussi de plus en plus banale, ordinaire. Et cela rend sur le long terme plus facile la vie des personnes qui ont une expérience du genre considérée comme hors-norme (c'est-à-dire en dehors de la norme hétérosexuelle).

Utiliser le néopronom "iel" dans des posts sur Instagram, comme le fait parfois Tinder, ou promouvoir les "culottes menstruelles pour tous.tes" (et non seulement pour toutes, afin d'inclure les hommes trans qui ont leur règle), comme le fait Moodz, c'est pour moi une manière très concrète à la fois d'inclure activement toutes les personnes concernées et de rendre visible ces expériences au plus grand nombre.

Signaler le genre : vertu ou récupération ?

Peut-être penserez-vous qu'il s'agit d'une forme d'activisme commercial destiné à rester dans l'air du temps sans réel engagement, en alignant sa communication avec le vécu et les attentes de sa cible ? C'est ce qu'on appelle le virtue signalling ou vertue ostentatoire et c'est une des mécaniques du diversity washing, ou du feminism washing. Je ne nierai certainement pas que ça existe mais pour le confirmer, il faut analyser attentivement la congruence (c'est-à-dire l'alignement) entre les pratiques de communication d'une entreprise (par exemple, utiliser l'écriture inclusive), ses valeurs (promouvoir ou non l'égalité de genre de manière explicite) et les actions qu'elle met en oeuvre concrètement en tant qu'organisation (qu'elle les communique en externe ou pas) : l'essai Féminisme Washing, quand les entreprises récupèrent la cause des femmes de Léa Lejeune offre une démonstration des incohérences entre les pratiques et la com des entreprises qui se déclarent défenseuses de l'égalité de genre.

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Par Alicia Birr

Un des éléments fondamentaux pour cultiver son regard critique sur les mots est de toujours avoir en tête où se situe celle ou celui qui écrit : notre âge, notre genre, notre passé, notre présent, nos conditions de vie influencent évidemment ce que nous ressentons, pensons et comment nous l’exprimons avec des mots (si même on parvient à l’exprimer, soit parce que l’on manque des mots pour le faire ou que l’on n’a pas d’espace où rendre publics, visibles ces mots).

Aussi, il me semble inconcevable de contribuer à cette vaste entreprise d’éducation par la déconstruction du langage sans dire où moi, je me situe.
Je suis une femme blanche, cisgenre, hétérosexuelle, en couple, mariée, mère de trois enfants, dans ma quarantaine, vivant à Paris, doublement diplômée dans des cursus dits prestigieux, ancienne cadre dans une entreprise multinationale, aujourd’hui indépendante, je suis privilégiée.
Je suis une femme qui a été témoin de violences sexistes depuis son enfance, qui a été harcelée, qu’un homme a tenté d’agresser dans le métro sans que personne n’intervienne, qu’on a traitée de conne en réunion, qui a subi des violences obstétricales.
Je suis une femme féministe, qui a milité dans une association LGBTQI+, qui a été hôtesse d’accueil à la Défense, qui a créé, dirigé puis fermé son entreprise, qui adore l’école, qui aime beaucoup parler en public et former les gens, qui coache d’autres femmes.

Récemment, j’ai réfléchi à la notion de syndrome d’imposture et j’ai décidé de bannir cette expression de mon vocabulaire. Il y a plein de raisons que je pourrais invoquer pour délégitimer ma position : que je ne suis pas linguiste ou que je n’ai jamais été créa dans une agence de com. Mais il y a quelques temps j’ai entendu Aurélien Barrau, astrophysicien et philosophe, parler de sa propre légitimité à s’exprimer sur les questions écologiques, dont il n’est a priori pas expert sur le papier. Aux critiques qui cherchent à déligitimer son discours, donc, il répond simplement : “Mais je m’en fous, je sais que ce que je dis est intéressant”. Et j’ai décidé que pour moi, c’est pareil.

J’ai même envie de dire que c’est parce que je ne suis pas linguiste que ce que j’écris est intéressant : parce que c’est ancré dans le concret de mon quotidien, parce que c’est dit avec des mots accessibles (en tout cas, j’espère). Et que c’est nourri par mes expériences personnelles et professionnelles : j’ai travaillé dans la musique, dans la mode, dans les médias, chez Google, en tant que coach, productrice évènementielle, j’ai travaillé avec des bouts de ficelles et des moyens dispendieux, je suis retournée deux fois me former pour compléter ma formation initiale en sciences politiques.

Aujourd’hui, tout ça s’articule, les points se relient, et je donne du sens à mon parcours sur le vaste terrain de jeu du langage inclusif avec re·wor·l·ding, qui se veut à la fois un espace pédagogique de création de contenu accessible à toutes et à tous, et un véhicule pour faire de la formation et du conseil en communication inclusive dans les entreprises, ainsi que du coaching en management et leadership inclusif.

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